CHAPITRE XXXIV

Gavin Darklighter refusa de prêter attention à ses courbatures. En temps normal, il les aurait imputées à la fatigue, mais il avait pris autant de repos que nécessaire pendant le voyage jusqu’à Agamar, puis à Coruscant. Il se sentait reposé. Mais il savait que la bataille qu’il allait livrer serait une des plus difficiles de sa vie.

Tout ce qu’il avait appris au cours du voyage vers Coruscant l’avait convaincu que l’Escadron Rogue et la Nouvelle République ne pouvaient pas se permettre de perdre cette bataille.

Gavin, Leia Organa Solo, l’amiral Traest Kre’fey et le sénateur A’Kla avaient été convoqués par le Président Borsk Fey’lya pour faire un rapport sur ce qu’ils avaient découvert. L’air suffisant de Fey’lya et de ses conseillers indiquèrent à Gavin qu’il y avait deux possibilités. Soit ils ignoraient ce qui se passait dans la Bordure, soit ils avaient décidé de ne pas laisser ces événements les détourner de leurs manigances.

Gavin craignait que la deuxième solution fût la bonne. La mort de la Nouvelle République en serait la conséquence logique…

Niuk Niuv, le sénateur sullustéen, ricana dans sa barbe.

– Si c’est vrai, vous leur avez donné une bonne leçon sur Dantooine ! Vous avez forcé un croiseur à reculer et vous vous êtes échappés.

– C’est exact. Toutefois, vous négligez les preuves trouvées sur Belkadan, où ils produisent du matériel de guerre. Vous négligez leur intervention sur Bimmiel, dont nous sommes informés parce que les étudiants ont été évacués et sont arrivés sur Agamar en même temps que nous.

Pwœ, un Quarren, enroula et déroula ses tentacules buccaux.

– Cinq systèmes, en comptant celui d’Helska 4, l’endroit où la première invasion a été repoussée, et celui de Sernpidal. Ces deux derniers ne leur sont plus d’aucune utilité.

– Tout comme pour nous… Vous négligez également les sacrifices que nous avons consentis pour sauver tant de gens. L’Escadron Rogue a laissé les deux tiers de ses pilotes dans la bataille. Plus de cinquante autres combattants ont perdu la vie. Les Yuuzhan Vong ont massacré un nombre incalculable de gens sur Dubrillion. Parmi les réfugiés de Dantooine, les pertes sont de cinquante pour cent.

Borsk Fey’lya eut l’air irrité.

– Nous ne négligeons rien ! Nous admirons le sacrifice des hommes du colonel Darklighter. L’unité aura une citation.

Gavin regarda l’amiral Kre’fey et vit le petit signe de tête qu’il escomptait. Faisant tourner sa bague machinalement, il regarda Fey’lya dans les yeux.

Il y a près de vingt ans, vous avez persécuté la Bothane que j’aimais, Asyr Sei’lar, et cela a fini par lui coûter la vie. Une vieille dette que vous allez payer maintenant !

– Si nos efforts vous semblent dignes d’estime, Président Fey’lya, je me demande pourquoi vous travaillez si dur à nous tromper, moi et l’armée de la Nouvelle République.

Fey’lya sursauta.

– Je veux bien fermer les yeux sur votre insubordination, colonel… Il est clair que vous n’êtes pas dans votre état normal.

Gavin se dressa de toute sa hauteur et serra les poings. Les conseillers devaient voir qu’il était un homme puissant – pas seulement un type qui restait assis dans un cockpit à appuyer sur une détente.

– Président Fey’lya, ceux qui sont ici connaissent la vérité. Si le Feu de Corusca était à Agamar, c’est que le capitaine Rimsen est agamarien et qu’il a trouvé bizarre qu’on modifie ses ordres pour qu’il n’aille pas vers Dubrillion et Belkadan. Il a appris la visite de Leia et ses raisons. Puis il est parti avec l’amiral Kre’fey et nous a tous sauvés.

– Vous avez mal compris…

– Je n’ai pas terminé ! coupa Gavin.

– Mais votre carrière pourrait bien être finie, colonel. Etes-vous en train de dire que vous démissionnez ?

L’amiral Kre’fey lança un commentaire en bothan. Fey’lya sursauta comme si on l’avait giflé. Griffant la table, il répondit sur le même ton. L’amiral Kre’fey se leva.

– J’ose vous parler ainsi, mon cher cousin, parce que vous avez dépassé les bornes ! Pensiez-vous que nous ne saurions rien de Bimmiel ? Ou des Yuuzhan Vong repérés sur Garqi ? Espériez-vous que nous ignorerions tout des autres mondes attaqués par les Vong ?

– Comment avez-vous su… ?

– Il y a de nombreuses façons de savoir. Les compagnies de communication qui desservent ces mondes ont des bénéfices en baisse. Le recrutement de militaires a diminué sur ces planètes… Vous avez réussi à empêcher les nouvelles de circuler. Mais vous avez oublié que les informations qui ne passent pas sont aussi importantes que celles qui passent.

Les membres du Conseil eurent l’air choqué. Puis ils se tournèrent vers Borsk Fey’lya.

Le Bothan ne perdit pas son aplomb.

– Même si ces planètes sont impliquées dans l’invasion yuuzhan vong – et vous n’en avez aucune preuve –, la conduite de la guerre est de notre ressort.

– Pas quand ce sont nos vies qui sont en jeu ! cria Gavin.

– Colonel Darklighter, êtes-vous prêt à signer votre lettre de démission ? Après tout, les Rogues ont quitté la Nouvelle République une fois et nous avons survécu !

– Je vais peut-être démissionner, Président Fey’lya, dit Gavin.

– Réfléchissez avant d’accepter sa démission, intervint Kre’fey. S’il part, moi aussi ! Et toute l’armée de la Nouvelle République !

– C’est une mutinerie.

– C’est la seule option raisonnable ! Vous êtes des politiciens. Votre but est de garder le pouvoir. Mais vos efforts ne serviront à rien si une vraie crise se déclare. Imaginez un tremblement de terre tuant des milliers de gens. On vous blâmera, même si ce n’est pas votre faute. Pourquoi ? Parce que vous n’avez pas voté des règles de sécurité suffisantes pour les bâtiments, parce que les opérations de secours sont trop lentes ou les indemnités insuffisantes… Et, chaque fois qu’on vous blâme, vous perdez un peu de votre pouvoir.

« Mon travail est de garder les peuples en sécurité, et les Yuuzhan Vong sont une menace pour eux. Supposons que vous n’ayez pas cru la princesse Leia quand elle vous a exposé le problème. Supposons que vous ayez sincèrement pensé que l’invasion était jugulée. Votre manque de réaction pourrait passer pour de la naïveté. Mais maintenant, il serait criminel !

Les narines de Pwœ frémirent.

– Si vous pensez ainsi, amiral, pourquoi ne pas prendre le pouvoir ?

– Parce que je ne suis pas un politicien. Je ne peux pas conduire une guerre et gouverner des mondes. Mais je suis prêt à apporter mon concours à qui voudrait renverser un gouvernement inefficace !

Kre’fey se tourna et fit signe à Leia. Fey’lya se leva et croisa les bras.

– C’est donc ça, Leia ? Vous détestez tellement ne pas être au pouvoir que vous avez circonvenu l’amiral Kre’fey ? Voulez-vous établir que les Jedi gouvernent la Nouvelle République ? Vos enfants hériteront-ils de votre titre après vous ?

Leia sourit et se leva gracieusement.

– Est-ce ce que vous recherchez, Président Fey’lya ? Qu’on se souvienne de vous comme du fou qui a mené la Nouvelle République à la catastrophe ? Au point que j’ai dû encore une fois m’interposer pour la sauver ?

Fey’lya se décomposa soudain.

– Comment voulez-vous que les choses se passent ? demanda-t-il.

– D’abord, vous laisserez le commandement de l’armée aux militaires. Pas d’interférence dans la conduite des opérations. Ce qu’ils décideront, ils le feront.

– Bien entendu.

– Ensuite, vous nous fournirez des vivres et le matériel nécessaire à l’accueil des réfugiés. Agamar est déjà saturée, et les gens fuiront de plus en plus loin en direction du Noyau à mesure que les Yuuzhan Vong avanceront.

Fey’lya regarda Pwœ.

– Enfin, vous autoriserez A’Kla à faire un rapport au Sénat et vous laisserez les médias le diffuser.

Fey’lya éclata de rire.

– Pour qu’on puisse me blâmer de toute l’affaire ? Jamais !

Kre’fey regarda Gavin.

– Dans mon empire, voudrez-vous une planète pour chacun de vos enfants, ou un système entier ?

Les yeux de Fey’lya brillèrent de colère.

– Nous préparerons ensemble le texte de ce rapport. D’accord ?

Elegos hocha la tête.

– Ça me paraît acceptable.

– Parfait. (Leia avança et tendit la main à Fey’lya.) J’avais oublié qu’il était si agréable de travailler avec vous !

– Pas moi ! grogna Fey’lya en lui rendant sa poignée de main.

L’expression de Leia indiqua à Gavin que la coopération de Fey’lya ne leur était pas acquise à tout jamais.

S’il peut prendre avantage sur nous, il le fera.

Leia s’inclina devant les conseillers.

– Merci de votre collaboration. Elle assurera le bien de tous. C’est ce que nous désirons, n’est-ce pas ?

– Bien entendu, Leia, dit Borsk Fey’lya avec un sourire de prédateur. La Nouvelle République est bien au-dessus de nos petits désaccords personnels.

Gavin aurait aimé rentrer chez lui retrouver sa femme, mais il savait qu’il ne serait pas de bonne composition. Quand trop de braves étaient tombés et qu’il était morose, ça rappelait à sa sœur que son époux avait péri en combattant les Yevethas. Depuis, elle était venue vivre avec Gavin et sa famille. De temps en temps, elle se considérait comme un fardeau pour lui. Et il n’était pas d’humeur à la rassurer pour le moment.

Il alla au Q. G. de l’Escadron Rogue et déambula dans les couloirs déserts. L’amiral Kre’fey avait accepté de ne pas rappeler les troupes avant midi le jour suivant, laissant les guerriers qui partiraient au front faire une ultime grasse matinée.

Le seul bon point du désastre de Dubrillion était que Jaina Solo se soit jointe à l’escadron. Gavin avait demandé à Leia si sa fille pouvait rester. La princesse avait accordé sa permission. Devant la joie de Jaina, Gavin s’était demandé si elle n’avait pas accepté uniquement pour ne pas devoir affronter sa fille.

Jaina avait emménagé aussitôt dans les baraquements de l’escadron. Elle partageait une chambre avec Anni Capstan, sa coéquipière, et rayonnait comme si elle y avait toujours vécu.

Vu la façon dont elle pilote, il ne fait aucun doute qu’elle restera longtemps avec nous.

Gavin fut étonné de voir un soldat posté devant son bureau, un fusil-blaster à la main.

– Un problème, soldat ?

Le jeune homme déglutit péniblement.

– J’ai essayé de les arrêter, monsieur, mais ils ont dit que vous ne verriez pas d’inconvénient à ce qu’ils attendent dans votre bureau.

– Vraiment ? Et ont-ils dit qui ils étaient ?

– Non, monsieur. Ce sont juste des vieux types…

– Pourquoi ne pas les avoir arrêtés ?

– J’ai essayé, monsieur. Ils ont pris mon fusil…

Il montra à Gavin que son arme n’avait plus d’unité d’alimentation.

– Et votre comlink ?

– Ils me l’ont pris aussi. Puis ils m’ont demandé de vous attendre là, sinon je serais accusé d’abandon de poste.

– Bon, attendez ici, soupira Gavin.

D’ailleurs, me faire tuer maintenant serait plus facile que de participer à cette guerre.

Les deux intrus occupaient les fauteuils des visiteurs, trois gobelets devant eux, autour de la bouteille de brandy corellien que Gavin cachait dans le dernier tiroir de son bureau.

Quand les deux hommes lui sourirent, il éclata de rire.

Le soldat passa la tête par la porte.

– Tout va bien, monsieur ?

– Oui. Vous pouvez partir.

– Tenez, dit un des inconnus.

Il lança au jeune soldat son unité d’alimentation et son comlink.

Gavin ferma la porte.

– Il a dit que vous étiez « deux vieux types ».

– Les jeunes n’ont plus de respect, Tycho !

– Plus aucun, Wedge ! C’est sans doute la faute de leurs chefs !

Gavin se versa un verre de brandy.

– Que faites-vous ici ?

– Nous avons entendu dire que tu partais en guerre, fit Wedge Antilles en levant son verre. Nous sommes trop vieux pour piloter, mais pas pour t’aider. Tu as besoin de nous, et nous voilà !

– Vous devriez réfléchir. Ça ne va pas être joli !

Tycho Celchu secoua la tête.